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Dans un avis publié le 11 janvier 2021 rendu en matière d’inscription de titres en PEA à une valeur minorée, le Comité de l’abus de droit estime que, dans le cadre d’une startup en phase de démarrage, la circonstance que des investisseurs financiers souscrivent des titres à une valeur unitaire significativement supérieure à celle des autres associés ne permet pas d’établir que ces derniers ont acquis leurs titres à une « valeur de convenance ».

L’affaire

L’administration fiscale fait savoir qu’elle applique la procédure de répression des abus de droit lorsque des contribuables bénéficient indûment des avantages du plan d’épargne en actions (PEA), notamment en ayant recours à la pratique consistant à inscrire des titres non cotés à une valeur minorée afin de contourner la règle de plafonnement des versements sur le PEA [1]. Le Comité aborde ici pour la première fois l’épineuse question de la valorisation et du financement des startups.

L’affaire en cause met en scène une startup britannique créée en 2005 par plusieurs serial entrepreneurs et destinée à développer des plates-formes logicielles de diffusion de contenus pédagogiques en ligne. Pour la constitution de cette startup, les fondateurs ont recours aux services d’un cabinet d’expertise-comptable qui leur cède les actions d’une société « off the shelf » tout juste créée pour l’occasion, comme il est de pratique courante au Royaume-Uni. C’est ainsi que le contribuable dont il est question acquiert, comme les autres fondateurs, les actions de la startup à leur valeur nominale, soit 0,10 €, qu’il inscrit dans son PEA à cette même valeur.

Le projet se révèle séduisant puisque la startup parvient, tout juste un mois après sa création, et avant d’avoir débuté son activité, à lever une somme de 2,75 millions d’euros en fonds propres en échange d’une fraction de son capital d’environ 17 %. Ce financement prend la forme d’une augmentation de capital qui se traduit par l’émission de nouvelles actions au profit du fonds d’investissement et, comme le veut la pratique, de deux de ses managers, pour une valeur unitaire de 264,10 € (soit la valeur nominale de 0,10 € augmentée d’une prime d’émission de 264 €).

Véritable success story de l’EdTech européenne, la société est cédée en 2014 pour un prix global de 175 millions de dollars, et la plus-value réalisée à cette occasion par le contribuable bénéficie de l’exonération d’impôt sur le revenu applicable aux titres détenus dans un PEA.

Ce traitement est toutefois contesté par l’administration sur le terrain de l’abus de droit. Celle-ci estime en effet que les 8.654 actions inscrites en PEA en 2005 pour une valeur unitaire de 0,10 € avaient en réalité une valeur vénale de 264,10 €, par comparaison avec l’augmentation de capital réalisée au profit des investisseurs financiers peu de temps après la création de la startup. Partant, la valeur d’inscription de 0,10 € constituerait une valeur de convenance, délibérément minorée, n’ayant comme objectif que de contourner la règle de plafonnement des versements sur un PEA, alors fixé à 132.000 €.

Au soutien de son argumentation, l’administration s’appuie notamment les éléments factuels suivants :

  • une proximité chronologique des opérations : il s’écoule tout juste un mois entre la création de la startup par le cabinet d’expertise-comptable, l’acquisition des actions par les fondateurs à 0,10 €, l’inscription des actions en PEA par le contribuable à ce même prix et l’augmentation de capital au profit des investisseurs financiers à 264,10 € ;
  • un écart très significatif entre la valeur d’entrée des fondateurs (0,10 €) et celle du fonds d’investissement et de deux de ses managers (264,10 €) ;
  • l’existence de liens antérieurs entre certains des fondateurs, associés dans d’autres projets entrepreneuriaux menés en parallèle.

Cette argumentation n’emporte cependant pas la conviction du Comité.

Celui-ci rappelle d’abord que, lorsque l’administration soutient que le contribuable a acquis dans son PEA des titres non cotés pour un prix sous-évalué, l’abus de droit n’est caractérisé qu’en cas de réunion, à la date d’acquisition des actions, de deux éléments :

  • une minoration du prix d’inscription (élément objectif) et
  • la connaissance de cette minoration par le contribuable (élément subjectif[2].

Le Comité estime ensuite, compte tenu du contexte spécifique propre à une société nouvellement créée engagée dans une phase de recherche et de développement d’un produit innovant dans le secteur numérique et dont la phase de démarrage suppose de réunir des ressources financières, que la circonstance que des investisseurs financiers souscrivent des titres à une valeur unitaire significativement supérieure à celle des autres associés ne permet pas d’établir que ces derniers ont acquis leurs titres à une « valeur de convenance ».

Décryptage

Cet avis interpelle à plusieurs égards.

D’abord, par la durée écoulée entre l’inscription des titres en PEA et leur cession, en l’occurrence une dizaine d’années, loin des cas habituellement soumis à l’appréciation du Comité où l’inscription en PEA porte généralement sur une société établie et réalisée, en connaissance de cause, peu de temps avant la cession. Ensuite, contrairement à la plupart des avis rendus en matière d’inscription de titres en PEA à une valeur minorée, lesquels reposent le plus souvent sur l’appréciation de l’élément subjectif (la connaissance par le contribuable de la minoration de prix), ici, le Comité se prononce uniquement sur l’élément objectif (l’existence même d’une minoration de prix), mettant ainsi sur la table la délicate question de la valorisation d’une startup.

On relève le caractère déterminant des circonstances de l’espèce, qui mettent en scène une société nouvelle, encore sans activité, et dont le business plan repose sur la mise en œuvre d’un projet innovant. On comprend qu’en l’absence de financement, la startup ne peut démarrer son activité, elle est en « sommeil », dans l’attente de son démarrage, ce qui exclut le recours à toute méthode de valorisation « objective » fondée notamment sur des cash flows ou des comparables externes. Pour remettre en cause la valeur d’inscription de 0,10 €, l’administration se réfère à la valeur de 264,10 € à laquelle les investisseurs financiers ont souscrit leurs actions, ce qui constitue selon elle une transaction comparable pertinente. On devine que la position de l’administration est biaisée par le prisme du temps ; si la société dont il est question s’est effectivement revendue 10 ans plus tard à un prix très supérieur, rien ne semblait garantir que ce succès serait au rendez-vous.

Adoptant toutefois une approche concrète, le Comité prend soin de se replacer à la date d’acquisition des titres en 2005 et de bien distinguer la situation des fondateurs de celle des investisseurs financiers. Le cas est fréquent dans le milieu du capital-risque, où l’entrée au capital des fondateurs et des investisseurs financiers se fait sur la base de conditions financières très différentes : les premiers rentrent au nominal, tandis que les seconds paient une prime d’émission significative, dont le montant résulte d’une négociation sur le partage d’une éventuelle plus-value future. Il s’agit là d’un mode de financement classique des startups, leur permettant de financer leur développement sans recourir au crédit bancaire, mais sans pour autant que les fondateurs ne soient excessivement dilués.

Partant, le Comité en conclut très justement que le prix payé les investisseurs financiers ne constitue pas un comparable pertinent pour déterminer si le prix payé par les fondateurs constitue un prix de convenance. On en déduit que, pour constituer un comparable pertinent, la transaction doit réunir deux conditions : elle doit être réalisée (1) de manière contemporaine et (2) avec des associés placés dans une situation similaire, ou, à tout le moins, une situation qui n’est pas radicalement différente. Le caractère contemporain de la transaction ne suffit pas à lui seul à caractériser une transaction comparable ; en l’occurrence, l’inscription des actions en PEA avait eu lieu la veille de l’augmentation de capital.

Ce faisant, le Comité admet implicitement que l’entrée au capital d’une startup peut se faire sur la base de prix différents, selon la catégorie à laquelle appartient l’actionnaire. Retenir le contraire dans la présente affaire serait revenu à interdire aux entrepreneurs, qui sont par hypothèse en recherche de financement, de placer leurs actions en PEA à la création de leur entreprise. Cet avis, qui s’abstient d’ailleurs de commenter l’intensité de la différence de prix de souscription, a donc de quoi rassurer le milieu du private equity et du capital-risque.

Le présent avis est à rapprocher d’un arrêt du Conseil d’État [3] rendu également en matière d’inscription de titres en PEA à une valeur minorée, dans lequel le rapporteur public avait mis en exergue la délicate question de la valorisation, en raison notamment du fait que la société n’avait pas encore une année d’existence et que la transaction prise pour comparable par l’administration concernait une acquisition faite par un business angel, c’est-à-dire à un prix qui n’est pas nécessairement comparable. La sous-valorisation n’a d’ailleurs pas été reconnue in fine par la Cour administrative d’appel de renvoi en raison notamment des circonstances ci-dessus [4].

Cet avis permet donc d’espérer une meilleure appréhension par l’administration fiscale et par la jurisprudence des pratiques et des contraintes de financement des startups.

Références

[1] BOI-RPPM-RCM-40-50-30-2015/01/15 n°20

[2] Voir à titre d’exemple : Conseil d’État, 10 décembre 2014, n°367040 et 367072

[3] Conseil d’État, 28 février 2019, n°419191

[4] Cour administrative d’appel de Bordeaux, 10 mars 2020, n°19BX01040

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