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Dans un arrêt du 7 mai 2019, la Cour de cassation valide le redressement fiscal réalisé à l’encontre d’un dirigeant ayant acquis un bien immobilier de sa société pour un prix minoré. La nouveauté se situe au niveau du fondement du redressement : celui des droits de donation au lieu de celui des revenus de capitaux mobiliers. La différence ? Une imposition – hors pénalités – deux fois plus lourde.

À propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2019, affaire n°17-15.621, Société Harmonie [1]

L’affaire

La société Harmonie a pour activité l’achat et la vente de biens immobiliers. Dans les années 90, celle-ci fit l’acquisition d’un terrain nu à Saint-Brévin-les-Pins, commune du littoral ligérien connue pour son « Serpent d’Océan », pour lequel elle obtint un permis de construire, avant de céder ce « terrain à bâtir » quelques années plus tard pour un prix de 2.700 €. Cette transaction ne passa pas inaperçue aux yeux de l’administration qui trouva à redire pour deux raisons. D’abord, parce qu’en dépit de la qualification retenue par les parties, le terrain litigieux, loin d’être nu, comportait en réalité un immeuble d’habitation édifié par une société administrée par la société Harmonie. Ensuite, parce que l’acquéreur du « terrain à bâtir » n’était autre que le président du conseil d’administration de la société Harmonie. Ce dernier se trouva donc l’heureux propriétaire par accession d’un ensemble immobilier d’une valeur de 200.000 € pour le prix du terrain nu. L’opération se révéla toutefois moins profitable que prévu à l’issue du contrôle fiscal aux termes duquel l’administration qualifia l’opération de vente à prix minoré, ce que le contribuable finira d’ailleurs par admettre. L’essentiel du litige se concentra donc autour des conséquences fiscales qu’il convient de tirer dans pareille situation.

Quel régime fiscal pour une vente d’actif à prix minoré ?

L’administration considérait que l’avantage égal à la différence entre la valeur réelle du bien et le prix payé par l’acquéreur constituait une libéralité de la société envers son dirigeant, soumise aux droits de mutation à titre gratuit, on le présume au taux applicable aux libéralités entre personnes non-parentes, soit 60 %. Le contribuable plaidait au contraire que cet avantage constituait un avantage occulte au sens de l’article 111-c du Code général des impôts (CGI), imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers par application de l’article 158 du même code (imposés à l’époque des faits au barème progressif de l’impôt sur le revenu). En tout état de cause, le contribuable soutenait que les droits de mutation à titre gratuit ne sont applicables qu’aux libéralités consenties par des personnes physiques.

La Cour de cassation ne fait pas droit aux arguments du contribuable. Elle rejette d’abord le moyen tendant à qualifier le gain d’avantage occulte, reprochant au demandeur de ne pas avoir soutenu plus tôt que les largesses dont il avait été gratifié étaient constitutives d’un avantage occulte. Elle juge ensuite, et surtout, qu’une personne morale peut valablement consentir une libéralité et que les droits de mutation à titre gratuit ont également vocation à s’appliquer aux donations consenties par des personnes morales.

Décryptage

La solution a de quoi surprendre à plusieurs égards.

1. La Cour rompt avec une jurisprudence bien établie

Aux termes de la jurisprudence administrative, il était acquis de longue date que la cession d’un actif à prix minoré par une société constituait un acte anormal de gestion sanctionné par une double rectification :

  • d’un côté, le résultat de l’auteur de l’acte était rehaussé du manque à gagner injustifié et,
  • de l’autre côté, le bénéficiaire personne physique était imposé à hauteur du même montant dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers [2].

Or, en l’espèce, la Cour rejette la qualification d’avantage occulte et le régime qui lui est associé, ou plus exactement, elle l’ignore, se contentant d’écarter le moyen car, on le présume, nouveau : « il ne résulte ni de l’arrêt ni des conclusions [du contribuable] que celui-ci ait soutenu devant la cour d’appel que la donation litigieuse constituait en réalité un avantage occulte ». L’argument aurait pourtant mérité un examen moins lapidaire. Il pourrait d’ailleurs être relevé que, si les moyens nouveaux sont bien irrecevables devant la Cour de cassation, il n’en va pas de même des moyens de pur droit [3]. Quoi qu’il en soit, il n’est pas certain que la Cour eût rendu la même décision si le contribuable avait défendu la qualification d’avantage occulte devant la cour d’appel.

2. La Cour considère qu’une personne morale peut valablement consentir une donation

Celle-ci se fonde sur l’article 902 du Code civil, aux termes duquel « toutes personnes peuvent disposer et recevoir soit par donation entre vifs, soit par testament, excepté celles que la loi en déclare incapables », poursuivant que les personnes morales ne sont pas expressément exclues par ce texte.

Or, transposer ce texte aux personnes morales relève d’un exercice particulièrement audacieux.

D’abord, parce que ce texte, et plus largement l’ensemble des dispositions du titre II du Code civil « Des libéralités », ont naturellement vocation à s’appliquer aux libéralités effectuées par des personnes physiques. Leur transposition aux personnes morales n’a rien d’évident et ne peut se faire sans maladresse. Doit-on en déduire par exemple qu’une personne morale peut valablement léguer ses actifs par testament ?

Ensuite, parce que la faculté même pour une société de consentir une donation se heurte à son objet. Le contrat de société repose en effet sur le partage de bénéfices ou la réalisation d’économies [4]. Comme le soulignait Maurice Cozian, « les entreprises ne sont pas des organisations philanthropiques ; leur objet est de réaliser des profits et non de faire la charité ». Souvent cité comme contre-exemple, le mécénat d’entreprise est certainement moins motivé par l’altruisme que par le souci pour l’entreprise de promouvoir son image dans le cadre de sa politique commerciale.

Le choix du fondement reste donc insatisfaisant au regard de la controverse entourant la faculté pour une société, qui plus est commerciale, de consentir une libéralité.

3. Par cet arrêt, le barème des droits de mutation à titre gratuit se trouve étendu aux donations consenties par des personnes morales

La Cour énonce que l’article 777 du CGI, lequel propose une série de barèmes de droits de mutation à titre gratuit en fonction du lien de parenté entre le donateur et le donataire, est applicable « par nature » aux personnes morales, citant à titre d’exemple le barème applicable aux libéralités consenties au profit des établissements publics, ou encore le taux spécifique aux libéralités effectuées entre personnes non-parentes.

Or, si à ce jour il ne faisait aucun doute que cet article s’appliquait aux libéralités impliquant des personnes morales, celles-ci ne sont expressément appréhendées par ce texte qu’en qualité de donataires, et non pas de donatrices. En approuvant l’application du barème des droits de mutation à titre gratuit aux libéralités consenties par des personnes morales, l’arrêt d’espèce présente une solution inédite, ouvrant ainsi une nouvelle possibilité de redressement aux conséquences pécuniaires bien plus importantes.

Face au choix dont l’administration semble désormais disposer dans le fondement des poursuites en présence d’une cession à prix minoré, il ne peut qu’être recommandé la plus grande prudence dans l’évaluation du prix des actifs cédés.

Références

[1] Consulter la décision sur Légifrance

[2] Arrêt de principe : Conseil d’État, 28 février 2001, n°199295, Thérond

[3] Article 619 du Code de procédure civile

[4] Article 1832 du Code civil, alinéa 1er

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